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LUGOWSKI Dominique

Abolition de l'esclavage : "Le temps de dynamiter notre méthode de commémoration est venu"

Par Lova Rinel et Seumboy
 

Lova Rinel, présidente du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), et Seumboy, créateur de la chaîne YouTube « Histoires Crépues », expliquent pourquoi le combat contre l'esclavage est, selon eux, loin d'être fini.

Cette année, le bicentenaire de Napoléonrencontre la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Derrière les faits historiques, l’enjeu politique du président Macron est de conclure son mandat sur la mémoire de deux évènements dont les commémorations posent les jalons de clivages plus profonds au cœur de la société française.

Pourtant, commémorer, c’est se souvenir ensemble. Doit-on commémorer le responsable d’un crime contre l’humanité ? Peut-on vraiment mettre de côté Napoléon pour réussir à commémorer nos ascendants asservis ? Peut-on se satisfaire de commémorations en se désintéressant des réalités de l’esclavage contemporain ?

DIGNITÉ HUMAINE ET HIÉRARCHIE DES RACES

Si l’esclavage n’est pas né de la traite négrière, la traite occidentale pose de manière inédite le lien entre dignité humaine et hiérarchie des races. C’est ce que traduit parfaitement La Controverse de Valladolid, qui reconnaît que les natifs d’Amérique avaient une âme et ne pouvaient donc être asservis. Mais qui, pour éviter une crise économique, affirme que les Africains n’ont pas d’âme et peuvent donc être réduits en esclavage. Ainsi commence l’esclavage raciste dont l’héritage humain se lit incontestablement dans la sociologie et les rapports de classe des Outre-mer. C’est à cette histoire que la journée du 10 mai est dédiée.

« Il serait malhonnête de résumer Napoléon au rétablissement de l’esclavage »

Cette année, une célébration plus enthousiaste du 10 mai est indispensable afin de faire comprendre que l’abolition de l’esclavage est le préalable mémoriel fondamental pour introduire la légitimité du 14 juillet. Peut-on raisonnablement regarder les Français d’Outre-mer dans les yeux en commémorant Napoléon ? Il serait malhonnête de résumer Napoléon au rétablissement de l’esclavage, mais nous réaffirmons que la République ne peut être célébrée autrement qu’au regard de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen sans exception.

L’ESCLAVAGE N'APPARTIENT PAS AU PASSÉ

L’Organisation internationale du travail (OIT) dénombre aujourd’hui environ 40 millions de personnes en situation d’esclavage, c’est-à-dire plus que ce qu’aucune autre période de l’Histoire n’a jamais connu. Cet esclavage rapporte plus de 150 milliards de profits annuels aux filières mafieuses.

La traite des êtres humains a été définie pour la première fois en 2000, dans l’article 3 du protocole de Palerme. Cette définition a été reprise par d’autres instruments juridiques internationaux et européens, notamment la Convention du Conseil de l’Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, dite « Convention de Varsovie ».

NE PAS FERMER LES YEUX

En France, la traite des êtres humains est définie à l’article 225-4-1 du code pénal. Elle est punie de sept ans d’emprisonnement et de 150 000 € d’amende. L’esclavage humain reste une priorité de sécurité internationale et des droits humains et plusieurs rapports annuels sont publiés, comme celui du département d’État des États-Unis sur les traites humaines dans le monde.

« Il existe plusieurs solutions pour poursuivre aujourd’hui la lutte contre l’esclavage »

Si nous fustigeons la bourgeoise qui sucrait le café de son époux et les gâteaux de ses enfants au nom du sang d’esclaves, si nous condamnons le racisme qui en a découlé, comment peut-on expliquer notre silence sur les 40 millions de personnes vivant aujourd’hui en situation d’esclavage au nez et à la barbe de tous ? Ici, nous pensons aux circuits de traites libyens et aux filières d’exploitation de migrants sur notre territoire.

Nous pensons aux femmes de ménage asservies par le dévoiement de la kafala dans des pays du Moyen-Orient comme le Liban. Nous citons des situations dans lesquelles une responsabilité française est engagée mais nous n’oublions pas non plus la situation des Ouïghours qui fabriquent des composants électroniques pour Huawei, ni les vêtements de Zara ou de H&M qui sont fabriqués sans aucune garantie de dignité humaine. Nous sommes là, nous y participons et nous ne faisons rien. Nous ne voulons pas appartenir à ce bilan.

« Nous continuerons à lutter contre l’esclavage, conformément aux valeurs des droits de l’Homme »

Il existe plusieurs solutions pour poursuivre aujourd’hui la lutte contre l’esclavage :

- dans le champ politique, la relance des chantiers sur les décrets d’application de la loi sur le devoir de vigilance votée en 2017, qui oblige toutes les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés à élaborer, à publier et à mettre en œuvre des mesures adaptées d’identification des risques et de prévention des atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité de personnes, et à l’environnement.

- dans le champ citoyen, continuer à se mobiliser contre les entreprises qui s’entêtent à user de telles pratiques pour fabriquer leurs produits.

- dans le champ éducatif, mettre enfin en place un musée de l’esclavage qui évoquerait toutes les formes de cette pratique dans le passé mais aussi dans le présent.

Le temps de dynamiter notre méthode de commémoration est venu. Respecter nos aïeux asservis mais aussi ceux qui se sont battus contre l’esclavage, c’est leur montrer que leurs descendants ne les ont pas oubliés, et que nous continuerons à lutter contre l’esclavage, conformément aux valeurs des droits de l’Homme.

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