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23 avril 2021 5 23 /04 /avril /2021 09:33
Par Pierre Conesa

Publié le 

Pierre Conesa, essayiste et ancien haut fonctionnaire, analyse la manière dont le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) a imposé dans les débats le terme d'"islamophobie".

 

L’histoire politique de la France est ponctuée de débats idéologiques qui avaient une grande force de déni, aujourd’hui disparus aux oubliettes de l’histoire : l’accusation d’"anticommuniste primaire" disqualifiait immédiatement l’interlocuteur (l’anti-communiste secondaire étant semble-t-il acceptable) ; le "maoïsme" avancée théorique du marxisme est enterré même en Chine ; la victoire des Khmers Rouges enfin libérés de l’impérialisme…

Dernier acte d’hypnose : la révolution iranienne qui réunissait "les masses aux pieds nus" que seul le lyrisme de Foucault dans le Corriere della Sera pouvait mythifier : "C'est l'insurrection d'hommes aux mains nues qui veulent soulever le poids formidable qui pèse sur chacun de nous, mais, plus particulièrement sur eux, ces laboureurs du pétrole, ces paysans aux frontières des empires : le poids de l'ordre du monde entier. C'est peut-être la première grande insurrection contre les systèmes planétaires, la forme la plus moderne de la révolte et la plus folle." Et cette révolution donnait naissance à un leader d’un genre nouveau : Khomeyni, qualifié dans cette même tribune, de "saint homme exilé à Paris". D’autres intellectuels suivirent : Sartre, Simone de Beauvoir plus lucide sans doute parce que femme, etc. Raymond Aron avait déjà constaté que nombre d’intellectuels avaient besoin de mots-drogues dans Opium des intellectuels(1955).

"Rappelons simplement que le terme "islamophobie" a été employé par Khomeyni pour fustiger les femmes qui se refusaient au port du voile."

L’insertion du terme "islamophobie" dans le débat politique actuel, ne peut s’appuyer sur aucun succès révolutionnaire pour dénoncer les critiques. Le PCF vantait les succès de l’URSS de Staline, pour dénoncer l’anticommunisme, rien de tel dans le monde arabo-islamique si ce n’est l’Iran de Khomeyni (mais ce sont des Chiites). L’imposition du terme dans le débat politique, a été en fait le produit d’une stratégie menée avec méthode dans les démocraties et en France en particulier. Peu importe l’origine du terme et les débats scientifiques sur sa définition. Rappelons simplement que le terme a été employé par Khomeyni pour fustiger les femmes qui se refusaient au port du voile.

 

Seules nous intéressent les méthodes pour en faire un concept politique multifonction dans le débat politique français d’autant plus imprécis qu’il peut servir à toutes les sauces. Premier succès : faire oublier que parmi les multiples communautés immigrées minoritaires arrivées en France depuis 1945, seuls les musulmans ont inventé ce terme très utile en victimologie, et que d’autres immigrations récentes par exemple chinoises, vietnamiennes ou africaines n’aient jamais exprimé de revendications identitaires et/ou séparatistes. La France est le pays d’Europe qui a accueilli les plus grosses communautés juive, arménienne, chinoise et extrême orientale. Seuls des musulmans ont inventé un terme propre en soutien à leurs revendications. Alors que le terme devrait donner lieu à examen, il limite la question à l’audit accusateur des sociétés démocratiques et non au mécanisme, inventeur du terme. Étonnant renversement de la charge de la preuve.

"La stratégie du CCIF est devenue judiciaire pour donner consistance au concept dénué de base légale."

Le grand opérateur est le Collectif contre l’Islamophobie (né en 2003) qui prétend se limiter au recensement des actes qu’il qualifie lui-même "d’islamophobes". Les faits lui importent peu : le ministère de l’Intérieur relève pour l’année 2019, 1052 actes anti-chrétiens, 657 actes antisémites et 154 actes antimusulmans malgré la multiplication des attentats islamistes. Même constat pour la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Haine anti-LGBT (DILCRAH). Comme le CCIF ne peut expliquer sa sélection contestée par les faits, il décide de ne plus publier d’inventaire détaillé depuis 2012.

La stratégie du CCIF devient alors judiciaire pour donner consistance au concept dénué de base légale : contre les journalistes (Ivan Rioufol en 2013, Judith Waintraub en 2019, Mathieu Gallet en avril 2019, Isabelle Kersimon en novembre 2016), l’historien Bensoussan, des politiques (Marlène Schiappa, Laurence Rossignol, et Aurore Bergé en 2021). Les cibles du CCIF couvrent un éventail politique très large allant de Manuel Valls à Zemmour en passant par Enthoven ou Sifaoui. Zemmour est définitivement condamné par deux fois en septembre 2020 pour injure et provocation à la haine, mais aucun jugement ne reprend le terme d’islamophobie.

 

Enfin le harcèlement ou des dépôts de plainte contre ce que les responsables du CCIF appellent les "néo-Harkis" : Zineb El Rhazoui, Zohra Bitan, et Linda Kebab, Amine El Khatmi, adjoint socialiste au maire d'Avignon et ancien membre du Conseil national du PS. Cette technique ignoble déclenche une chasse en meute violente anonyme. Tous les procès de ce "djihad judiciaire" sont perdus, mais inscrivent le sujet dans le débat politique. La protestation victimaire permet n’importe quelle outrance.

"La stratégie du harcèlement judiciaire rencontre plus de succès auprès des tribunaux administratifs."

En mars 2018, le CCIF met sur le même plan le terrorisme et le "laïcisme" : "Il faut empêcher toute ingérence laïciste avec la même énergie que celle déployée contre le terrorisme. Parce qu'ils sont les deux faces d'une même pièce." La stratégie du harcèlement judiciaire rencontre plus de succès auprès des tribunaux administratifs, instance qui juge sur dossier, sans consultation des éléments de police. À Wissous, le maire UMP interdit par arrêté municipal sur le plan d’eau de sa commune, tout signe religieux ostentatoire, dont le voile islamique. Le tribunal administratif de Versailles, saisi par le CCIF et l’association Al Médina, suspend en référé l’arrêté. La suspension d’un agent de sûreté musulman, à l’aéroport de Nice, qui parlait arabe et refusait de saluer les femmes pendant ses fonctions, attitude peu compatible avec les devoirs d’un salarié de service public, lui vaut d’être suspendu par arrêté préfectoral qui est annulé par le tribunal administratif de Nice. Autre exemple édifiant que cet ingénieur musulman employé par une association sous-traitante accédant aux installations nucléaires d’EDF. La préfecture de l’Aube remet un rapport défavorable sur lui, ce qui entraîne l’interdiction d’accéder à des sites sensibles en 2014. Le tribunal administratif de Chalons sais par le CCIF l’annule au motif que l'avis de la préfecture n'était pas motivé et pour cause : il est "couvert par le secret-défense". EDF doit donc donner à l’intéressé, accès aux sites sensibles.

En 2016, les actes anti-musulmans étant en baisse en France, les institutions publiques sont désignées par le CCIF comme la source principale de l'islamophobie. Dans le livre Islamophobie – Comment les élites fabriquent le "problème musulman" Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed inventent le terme "d’islamophobie institutionnalisée" en demandant l'abrogation de la loi de 2004 sur les signes religieux dans l’espace public. La quatrième de couverture est un exemple étonnant d’invention médiatique. "Alors que l'hostilité à l'encontre des musulmans se traduit presque quotidiennement par des discours stigmatisants, des pratiques discriminatoires ou des agressions physiques, Abdellali Hajjat et Marwan Mohammed font ici œuvre salutaire : ils expliquent comment l'islam a peu à peu été construit comme un "problème" et comment l'islamophobie est devenue l'arme favorite d'un racisme qui ne dit pas son nom… Faisant le point sur les débats autour du concept d'islamophobie, il offre une description rigoureuse des discours et actes islamophobes, en les inscrivant dans l'histoire longue du racisme colonial et dans leur articulation avec l'antisémitisme. En insistant sur l'importance des stratégies des acteurs, les auteurs décortiquent le processus d'altérisation des "musulmans" qui, expliquant la réalité sociale par le facteur religieux, se diffuse dans les médias et ailleurs. Ils analysent enfin la réception du discours islamophobe par les musulmans et les formes de contestation de l'islamophobie par l'action collective et la mobilisation du droit anti-discrimination."

 
"Grâce à cette stratégie, le CCIF a réussi à inscrire le terme d’islamophobie dans le débat politique, en se refusant à toute critique de l’islam même radical."

Étape suivante : l’internationalisation permet l’action militante sans preuve. Ayant acquis le statut consultatif auprès de Conseil Économique des Nations unies, le débat français ne l’intéresse plus. Le procès en islamophobie tient lieu d’analyse. Le CCIF ne publiant pas ses comptes alors, on hésite entre l’aide financière des États du Golfe et/ou de la Turquie, ce que ses responsables contestent. D’ailleurs pourquoi aller chercher si loin : le CCIF prétend ne recevoir aucune subvention de l’État français, ce qui est théoriquement exact. Mais cela tient parfois à la présentation : le CCIF fut subventionné trois années consécutives entre 2016 et 2018, par la mairie de Grenoble. Le nom déposé en préfecture lors de sa création est "Association de défense des droits de l'Homme (ADDH) – Collectif Contre l'Islamophobie en France (CCIF)". Cette dénomination lui permet de se faire passer pour une association antiraciste. Sauf que, comme l’organisation l’admet elle-même, elle a reçu en 2013 le soutien financier de la Commission européenne, "dans le cadre de la mise en place d’un projet de collecte des données sur les actes islamophobes, dans huit pays européens, conjointement mené avec d’autres associations." Un soutien financier renouvelé.

Grâce à cette stratégie médiatique de victimisation et de harcèlement juridique, le CCIF a réussi à inscrire le terme d’islamophobie dans le débat politique, en se refusant à toute critique de l’islam même radical. Ne cherchez pas un communiqué de condamnation des attentats par le CCIF, il n’y en a pas ! Comme l’explique dans une interview Georges Bensoussan, la stratégie de harcèlement judiciaire menée par le CCIF "finit, en effet, par porter ses fruits. Sous la pression de la répétition des procès et des ennuis judiciaires, d'aucuns pourraient hésiter longuement avant de participer au débat public. Si ces intimidations peuvent ne pas jouer sur certains individus, elles agiront sur la majorité."

"On ne juge plus les agresseurs pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont, selon qu’ils appartiennent à tel ou tel groupe."

On constate l’incapacité des nouvelles mouvances racialistes, décoloniales, indigénistes, féministes etc.… à se prononcer sur le sujet, gênées par le risque d’être accusées d’islamophobie. Aucune n’a condamné clairement la décapitation de Samuel Paty, peu d’associations féministes ont soutenu Mila. Comme si la cause de chacune était l’unique prisme d’analyse du monde. On ne juge plus les agresseurs pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont, selon qu’ils appartiennent à tel ou tel groupe, introduisant une hiérarchie des victimes et des coupables, propice à toutes les dérives racialistes comme s’en fait une spécialité le Collectif contre l’Islamophobie en France. Les associations féministes sont particulièrement gênées. L’article du journal le Mondesigné Annie Sugier, présidente de la Ligue internationale du droit des femmes ("Lettre à Assa Traoré : la lutte contre le racisme ne doit pas occulter la lutte contre les violences faites aux femmes") rappelle que les machistes n’ont pas toujours la peau blanche et que des associations de femmes africaines luttent contre la polygamie.

SOS Racisme refuse le terme craignant de conforter l’idée d’un droit spécifique de réduction du droit de blasphème. Le MRAP, et une partie de la LDH se l’approprient au contraire. Pascal Bruckner et l’ancienne ministre Jeannette Bougrab ont été assignés en justice pour diffamation pour avoir estimé que les associations qui avaient accusé Charlie Hebdo de racisme et d’islamophobie portaient une part de responsabilité dans l’attentat. Le CCIF est rejoint par les "Indigènes de la République" et les "Indivisibles", associations communautaristes en recherche permanente de confrontation avec notre société. Le pourvoi est rejeté et les plaignants condamnés aux dépens.

L’objectif ultime du CCIF est de criminaliser toute critique de l’Islam. L’extrême gauche en mal de militants depuis que la classe ouvrière s’est mise à voter FN, voit dans les immigrés les nouvelles victimes et dans la révolution iranienne le nouvel anti-impérialisme et si l’Islam est leur religion, il faut la défendre. Le 10 novembre 2019, la "Marche contre l’islamophobie" a agrégé islamistes et extrême gauche : la France insoumise, CGT, ATTAC et la Ligue des droits de l’homme. La victimisation est exclusive : L’avocat du CCIF, Maître Sefen Guez Guez, s’est publiquement élevé le 25 février 2020, contre la réception de la chrétienne pakistanaise Asia Bibi par Emmanuel Macron. Asia Bibi est une jeune chrétienne pakistanaise condamnée à mort par un tribunal islamique pour avoir bu de l’eau dans une fontaine réservée aux musulmans.

Sur la condamnation du salafisme et des attentats, des clercs musulmans sont bien moins ambigus mais hélas moins médiatisés que les compagnons de route : aucune réaction de la LDH, de certaines associations féministes ou LGBT, ni des associations antiracistes pour dénoncer les menaces visant Mila, à l’inverse de l’attitude de plusieurs autorités musulmanes qui les ont condamnés sans ambiguïté ainsi que la haine qu’elles charriaient.

À LIRE AUSSI : Une étrange nébuleuse d'associations dénonce l'"islamophobie" française auprès de la Commission européenne

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